L’économie allemande est convalescente. Les élections du 23 février devront marquer une accélération pour que l’Europe sorte enfin de son atonie.
Zeitenwende ou Zeitlupe ? Changement réel ou lenteur exagérée ? En Allemagne, presque trois ans après le « discours du changement d’époque » prononcé le 27 février 2022 au Bundestag par le chancelier Olaf Scholz, le débat n’est pas tranché.
Trois jours après l’attaque russe, le chef de l’exécutif de Berlin s’était alors, entre autres promesses, engagé à bouleverser les priorités budgétaires pour faire place au réarmement du pays, quitte à s’exonérer du fameux « frein à l’endettement » qui limite constitutionnellement à 0,35% du PIB le déficit budgétaire annuel.
Le 6 novembre dernier, c’est précisément un désaccord fondamental entre les libéraux de Christian Lindner et ses partenaires gouvernementaux sur la nécessité de faire évoluer cette règle qui conduisit à l’éclatement de la coalition et aux élections législatives anticipées du 23 février prochain.
Le temps presse pour donner une nouvelle impulsion à l’économie. 2023 et 2024 ont été deux années de stagnation Outre-Rhin, voire de légère récession puisque, selon Destatis, l’office fédéral de statistique du pays, la production y a diminué de 0,1% en 2023 et 0,2% en 2024.
Les deux principales causes de cette contre-performance sont connues.
1-La première est l’évolution de ce qui fut son premier client. La Chine, aux prises avec de gigantesques surcapacités de production et tendue vers la montée en gamme de son outil industriel, est passée de cliente à concurrente du pays sur ses principaux points forts : automobiles, machines-outils, équipement industriel…
La fermeture progressive de l’Empire du Milieu a conduit les industriels allemands à renforcer leurs investissements locaux au détriment des exportations. BMW et Mercedes ont ainsi annoncé l’an dernier de nouveaux investissements chinois de 2,5 Md€ chacun.
Résultat : la Chine n’est plus que la cinquième destination à l’export Outre-Rhin. La Pologne, les Pays-Bas, la France et les Etats-Unis occupent les quatre premières places. Même lorsque l’on additionne les flux entrants et sortants, les Etats-Unis sont passés devant la Chine selon les estimations de Germany Trade & Invest.
2-La deuxième raison de la stagnation réside dans l’incapacité du pays de relancer puissamment sa demande intérieure pour compenser la perte de traction de sa machine exportatrice. La forte hausse des salaires annoncée en 2024 – +5,5% selon la fondation Hans-Böckler – ne compense qu’à peine plus de la moitié de la perte de pouvoir d’achat enregistrée depuis 2021.
En outre, la pression de l’orthodoxie budgétaire – le « Schwarz Null » cher à Angela Merkel – a freiné les investissements non seulement dans les forces armées du pays, mais aussi dans les infrastructures, y compris numériques, qui accusent un retard significatif par rapport aux pays les plus avancés, y compris en Europe.
Néanmoins de premiers signes de renouveau apparaissent. Depuis plusieurs mois, l’accélération des commandes dans le secteur de la défense en Europe ont permis aux géants allemands du secteur, à l’image de Rheinmetall, de prospérer, tout comme des industries connexes tel l’équipement optique de pointe, qui a également profité de l’attrait renforcé pour les semi-conducteurs et l’industrie spatiale.
Même le traditionnel « Mittelstand », sous forte pression chinoise, voit un début d’amélioration. Selon le Leibniz Center for Economic Research, l’incorporation croissante des outils d’intelligence artificielle dans les processus industriels permet à ces entreprises de proposer de plus en plus de services à leurs clients, ce qui a conduit à la création de 35000 emplois au premier semestre 2024.
Longtemps en retard dans les entreprises les plus innovantes, le pays a également commencé à combler ses manques dans ce domaine. L’an dernier, 2700 start-ups y ont été créées, soit 11% de plus qu’en 2023. Et le financement suit : entre 2015 et 2019 les fonds Venture internationaux investissaient moins de 5 Md$ par an en Allemagne, soit moins de 0,15% du PIB. Depuis, le montant a plus que doublé à 11 Md en moyenne.
Ces signaux positifs ont encore du mal à se retrouver dans les grands indicateurs macro-économiques du pays. Seul le très réputé IFO a publié, le 27 janvier dernier, une statistique mensuelle de moral des acteurs économiques montrant une première amélioration. Mais les enquêtes portant sur les ménages sont encore très négatives, à l’image de la publication de janvier l’institut GFK, à -22,4.
Une des raisons porte sans doute sur l’impact géographique du processus de « destruction créatrice » qui parait se mettre en place.
Si l’économie allemande pivote autour des services industriels et des nouvelles technologies, les zones traditionnellement riches en emplois manufacturiers traditionnels souffriront davantage. Une étude récente de l’Université de Düsseldorf prenait ainsi l’exemple de l’industrie du bois des environs de Dortmund, dans la Sarre, ou des papetiers du nord de la Bavière, dont les perspectives pourraient rapidement se dégrader.
Paradoxalement, cette même étude place les Länder de l’ex-Allemagne de l’Est en bonne position en raison des compétences industrielles pointues développées depuis l’époque de l’ex-RDA. Le Land de Saxe est ainsi devenu un pôle référence pour la micro-électronique, avec plus de 80 000 emplois et la création à Dresde d’une usine de TSMC qui représente le plus gros investissement du Taiwanais dans le pays.
En fin de compte, comme le souligne l’Institut de recherche IWH, l’est du pays est désormais moins exposé aux destructions d’emplois que le sud, pourtant aujourd’hui bien plus prospère.
La solution réside dans l’accélération de la croissance et de la consommation intérieure pour permettre à l’ensemble du pays de retrouver son optimisme. Mais sans réforme du « frein à l’endettement », les chances sont minces. Or toute réforme de la constitution s’annonce très délicate et dépendante des futurs équilibres politiques au Bundestag
La coalition qui sortira des élections du 23 février aura pour première mission de trouver ce fameux « chemin de croissance » et d’utiliser enfin les considérables marges de manœuvre financières du pays. Friedrich Merz, le leader de l’opposition chrétienne-démocrate et actuel favori pour mener les discussions autour d’un futur gouvernement, est en première ligne. En dépit de la méfiance instinctive de son parti pour toute relance budgétaire, il s’est déclaré dès novembre favorable à utiliser tous les leviers disponibles pour sortir le pays de l’ornière économique.
L’Europe et les investisseurs du monde entier surveillent la situation de près : depuis le début de l’année, les indices actions du Vieux Continent prennent leur revanche et dominent les classements internationaux. L’espoir d’un retour de la locomotive allemande fait partie des puissants soutiens à cette « remontada ».