L’objectif réaffirmé par Xi Jinping depuis son accession au pouvoir en 2013, est de mettre le pays sur la bonne trajectoire afin de réaliser en 2049, pour le centième anniversaire de la République Populaire de Chine, le « rêve chinois » de redevenir la première puissance mondiale, de retrouver le rang qui était le sien jusqu’au début du XIXème siècle.
Le parcours du pays l’y autorise. En un quart de siècle, sa richesse produite a dépassé tous ses concurrents, y compris le Japon, ennemi historique, pour se retrouver dans un mano a mano avec les Etats-Unis. En 2000, la Chine n’était le premier partenaire commercial que d’un pays sur 10. Aujourd’hui, ce sont 70% des nations pour lesquelles elle est au premier rang des échanges. Elle a même dépassé l’Allemagne sur le marché des machines-outils, longtemps chasse gardée de l’industrie d’Outre-Rhin.
En dépit de ces superbes performances, deux obstacles sont apparus ces dernières années pour contrarier les plans de Xi.
Le premier fut le CoVid. Après avoir suscité dans un premier temps une admiration mêlée d’un certain effroi pour sa méthode de gestion de l’épidémie, le pays a laissé passer le train vaccinal et la demande intérieure ne s’en est jamais remise. Résultat, une croissance qui peine désormais à dépasser la marque historiquement faible de 5%.
Le nouveau mandat de Trump pose aujourd’hui le second obstacle, tout aussi formidable, sur la route du « rêve chinois ». Il attaque en effet la position de l’Empire du Milieu selon trois angles simultanément : commerce, géopolitique et économique.
- Le premier est bien sûr le commerce. Très vite, quelques jours après le 2 avril, au milieu de la bourrasque des « taxes douanières réciproques » et de leur mode de calcul parfois obscur, les observateurs ont compris que la Chine était la cible prioritaire.
Car face au rival stratégique, le seul sans doute qui puisse générer un fragile consensus au sein d’un Congrès très divisé, Trump frappe fort et refuse de faire le premier pas dans les négociations à venir, attendant au contraire un geste de son homologue.
Xi ne cède pas et réplique coup pour coup, jusqu’à ce que les droits de douanes entre les deux pays dépassent les 120% (125% dans le sens des exportations des Etats-Unis vers la Chine et 145% dans l’autre sens). A ce niveau, même Scott Bessent, le secrétaire d’Etat au Trésor le reconnaissait le 22 avril, c’est un « embargo virtuel » qui se met en place, un découplage de fait entre les deux géants.
De prime abord, face aux 440 milliards de dollars d’exportations chinoises vers les Etats-Unis, les « petits » 150 milliards de dollars qui font le trajet inverse, mettent Trump en position de force.
Mais la Chine est préparée et a les moyens de répliquer. Les exportations du pays vers les Etats-Unis ne représentent plus que 3% du PIB contre 4% l’année de l’accession au pouvoir de Xi et plus de 7% en 2007. En outre, à part quelques éléments critiques comme les équipements médicaux ou l’éthane – pour lesquels une dérogation a vite été annoncée – la plupart des produits en provenance des Etats-Unis sont aisément substituables.
De l’autre côté du Pacifique, le paysage est plus sombre, tout spécialement si la situation dure plus de quelques semaines. La puissance industrielle de la Chine la rend incontournable dans de nombreux secteurs, avec un impact économique ou politique considérable : des climatiseurs à certains principes médicaux, des terres rares raffinées pour la tech, aux vélos et aux poupées, de quoi donner des sueurs froides à l’entrepreneur, à l’investisseur, comme aux familles qui prépareront Thanksgiving puis les fêtes de fin d’année dès la rentrée de septembre.
Même si les conséquences mettront du temps à se matérialiser, les indices de confiance du consommateur faiblissent déjà et le moral des directeurs d’achat s’effrite à mesure que baissent depuis fin mars les entrées dans le port de Los Angeles, ce qui laisse craindre des ruptures d’approvisionnement comme en 2020.
- Le second angle d’attaque de Trump est la géopolitique. L’objectif des taxes, infligées de façon massive à la zone Indo-Pacifique, est d’inciter, via des négociations bilatérales, les principaux partenaires régionaux de la Chine – à l’image du Vietnam, de la Thaïlande, du Laos, du Cambodge et des Philippines – à choisir comme partenaire de confiance les Etats-Unis plutôt que cette dernière.
Ce n’est pas un hasard si, quelques jours après le 2 avril, Xi s’est précipité chez ses voisins pour leur rappeler l’importance des liens capitalistiques et politiques (en particulier avec le Vietnam, le Laos et le Cambodge, tous dans l’orbite des partis communistes locaux).
L’issue de cette confrontation est très incertaine. Les pays d’Asie, y compris l’Inde, ne peuvent se passer de la puissance industrielle et financière chinoise. Les infrastructures des « Nouvelles Routes de la Soie » sont passées par là. Et la part du commerce entre la Chine et les émergents n’a cessé de croître, pour atteindre plus de 15% du PIB de l’Empire du Milieu contre à peine 9% pour les Etats-Unis.
Mais les conflits politiques sont nombreux et pèsent dans le paysage. L’occupation par les garde-côtes chinois, mi-avril, de l’ilot de Sandy Cay dans les iles Spratleys en témoigne. Ce chapelet de récifs à peine émergés mais stratégiquement situés en mer de Chine pour l’accès au Pacifique, est attribué aux Philippines par les tribunaux internationaux, mais fait l’objet de pressions grandissantes de Pékin pour assurer sa domination sur l’ensemble de la Mer de Chine méridionale.
Le retrait américain des grands traités internationaux en Asie ouvre cependant une porte inespérée pour la Chine qui compte bien se positionner en garante de la stabilité politique et économique de la région.
- Ceci pourrait être d’autant plus important que le dernier angle d’attaque de Trump, le défi majeur, reste économique.
Car à la mise en place des droits de douane, se combine une volonté de bloquer l’accès du géant asiatique aux technologies américaines les plus avancées, afin de ralentir sa marche vers la domination des secteurs stratégiques. Cette double offensive économique pèse sur le rythme de croissance chinois. Après une période très difficile, notre indicateur MMS Montpensier Arbevel de Momentum Economique, à 64, s’est redressé. Mais cela traduit davantage un arrêt de la dégradation post CoVid qu’un véritable retour de l’élan de croissance.
Source : Bloomberg / Montpensier Arbevel au 2 mai 2025
Paradoxalement, Trump pourrait être la chance de la Chine en l’incitant à relancer enfin sa demande intérieure, qui souffre d’un excès d’épargne de la part des ménages comme des entreprises privées. Jusqu’ici, les annonces de plans de soutien se sont multipliées mais l’absence de détail chiffré est décevante. Trump, en contraignant Xi à compenser sur le marché intérieur ce qu’il pourrait perdre à l’export, serait alors l’aiguillon qui permettrait au pays d’accélérer… pour dépasser les US ? la bonne tenue des 2 grandes économies est indispensable à celle des marchés financiers.