Le « dossier iranien » peut-il bouleverser les perspectives économiques américaines en déclenchant un cycle inflationniste ? L’intervention militaire aérienne du 22 juin, en appui des opérations de l’allié israélien, a renforcé les inquiétudes d’une envolée des cours du pétrole. Mais le diagnostic est plus complexe et la vérité doit d’abord être recherchée dans les dynamiques économiques et politiques internes du pays.
Jusqu’ici l’inflation demeure contenue. Très attendu alors que les taxes à l’importation ont déjà monté, l’indice des prix à la consommation PCI pour le mois de mai, en hausse de tout juste 0,08% sur un mois, est ressorti inférieur aux attentes. Plus étonnant encore, parmi les composants les plus faibles, se trouvent l’automobile et les vêtements, en première ligne sans tensions commerciales dont les prix ont baissé.
C’est une bonne nouvelle pour la Fed, qui peut se permettre d’attendre d’en savoir plus sur la dynamique des prix avant de faire évoluer son statu quo monétaire. Pour l’instant, il n’y a pas d’alerte sur les conditions de financement de l’économie américaine, en dépit de la nervosité des taux longs.
Mais, comme Jerome Powell l’a lui-même souligné lors de la conférence de presse du 18 juin, le niveau d’incertitude demeure très élevé, et l’escalade en cours entre l’Iran et Israël est un élément nouveau qui pourrait changer la donne.
- L’inflation – y compris dans sa partie hors énergie et alimentation avec quelques mois de décalage – est en effet très fortement corrélée avec les cours du pétrole. Selon les analyses de JP Morgan, une fermeture du détroit d’Ormuz pourrait conduire les cours du brut léger américain vers 120$ le baril, ce qui signifierait un risque de porter l’inflation aux Etats-Unis à 5%.
Ceci est cohérent avec une récente étude de la banque centrale américaine, qui estime qu’une augmentation de 10$ le baril a la capacité de pousser l’inflation de 20 Bps.
Or la menace devient crédible depuis que le Parlement iranien le 22 juin, en réponse aux frappes américaines le même jour, a autorisé l’exécutif du pays à fermer le détroit par lequel transite plus de 20% de la production mondiale de pétrole et 30% de celle de gaz naturel liquéfié.
A ce stade, il convient néanmoins de rester prudent car toute fermeture prolongée aurait d’abord des conséquences néfastes sur l’initiateur lui-même. L’Iran serait en effet le premier pays à souffrir d’une interruption du trafic dans ce passage stratégique. Et des dommages économiques seraient causés à son principal partenaire, la Chine, qui compte, dans le cadre de son programme des Nouvelles Routes de la Soie, sur les ports de Gwadar au Pakistan et de Chabahar en Iran pour relier par la mer l’Asie Centrale à l’Europe et au Moyen Orient.
- L’augmentation des droits de douane est le deuxième facteur inflationniste à surveiller. La « pause » de quatre-vingt-dix jours décrétés par Donald Trump le 9 avril après le choc mondial causé par le « Liberation Day » une semaine auparavant, arrive bientôt à son terme. Le temps presse.
A ce jour, un seul accord, parcellaire, a été signé, avec le Royaume Uni. Mais parmi les partenaires commerciaux les plus importants, ni l’Europe, ni le Japon, ni la Chine ne paraissent en mesure de respecter la date limite du 9 juillet.
Paradoxalement, la tonalité des discussions laisse envisager une issue positive plus rapide avec le rival stratégique chinois qu’avec les alliés européens ou japonais. En dépit de l’incertitude sur l’ampleur et la rapidité de la diffusion du choc tarifaire possible le plus fort depuis – au moins – les années 1930, la conclusion d’un accord avec la Chine permettrait aux acteurs économiques d’anticiper et de lisser les impacts.
Dans ce cas, et si de tels accords étaient également rapidement conclus avec les principaux pays d’Asie, la montée des prix pourrait n’être que temporaire – six à neuf mois – sauf choc supplémentaire, en particulier sur le marché du travail.
- Le marché du travail est le troisième facteur inflationniste à surveiller aux Etats-Unis, le plus structurant à moyen terme. Alors que l’emploi se normalise graduellement, il demeure sujet à de possibles tensions car la marge de manœuvre est faible avec un taux de chômage à peine supérieur à 4,2%.
Or c’est bien la main d’œuvre immigrée qui permet l’ajustement de l’offre et de la demande de travail, en particulier dans les secteurs très intensifs en emplois comme le bâtiment, l’agriculture ou le tourisme.
Dans la perspective de l’élection de Donald Trump en novembre dernier, plusieurs études avaient alerté sur la nécessité de maintenir un solde migratoire largement positif pour éviter de perturber l’économie. En novembre 2024, Le Congressional Budget Office (CBO) avait ainsi estimé qu’à partir de 2031 le déficit des naissances ferait que seules les entrées nettes dans le pays pourraient équilibrer le solde démographique.
En outre, l’immigration est essentielle pour maintenir la progression de la productivité, qui permet, en se maintenant au-dessus de celle des salaires nets, de favoriser une croissance non-inflationniste.
L’ambition de Donald Trump de multiplier les expulsions pourrait alors être un élément de perturbation de l’offre.
- Le dernier sujet d’inquiétude est celui d’une relance massive de la demande via un fort accroissement du déficit budgétaire.
L’inconfort des investisseurs a en effet été ravivé par le vote à la Chambre des Représentants de la grande loi OBBBA – One Big Beautiful Bill Act – qui fixe le cadre de fonctionnement fiscal de l’Etat fédéral. Selon le CBO, en cas de validation de la loi par le Sénat, l’ensemble des mesures de réduction d’impôts pourrait générer un creusement de plus 430 milliards de dollars du déficit prévu en 2025. Cette relance massive, même si elle laisse de côté les ménages les plus modestes, serait un puissant vecteur de pression à la hausse des prix dans un contexte de perturbation de l’offre.
Jusqu’ici l’économie résiste et la confiance des patrons de PME, mesuré par l’indice NFIB, en forte progression au mois de mai, témoigne de la résilience de l’économie et de l’adaptabilité des entreprises. Le marché l’a compris qui refuse de baisser les bras. Les investisseurs attendent désormais un soutien plus net de la Fed face aux fracas géopolitiques. Garderont-ils leurs nerfs face à l’escalade des différents conflits ?