Longtemps, Pékin s’est inspiré de Berlin. Moteur de croissance industriel, tourné vers l’export au détriment de la demande intérieure, montée en gamme résolue poussée par une gestion prudente de la devise, des finances publiques et de la banque centrale.
Bien sûr, les deux modèles ne sont pas identiques. L’histoire et les atouts naturels sont très différents. Mais les similarités sont fortes, y compris dans la volonté de la Chine au XXIème siècle de retrouver son rang de puissance dominante, pas si éloigné du rêve de l’Allemagne de Guillaume 1er et de Bismarck, héritière de la Prusse et du Saint Empire au XIXème siècle.
Au début de ce printemps 2025, en pleine tourmente commerciale qui menace le cœur de leur modèle de développement, les deux pays voient une nouvelle fois leurs destins se croiser.
L’Allemagne est en plein changement d’ère. Le Zeitenwende d’Olaf Scholz a été effectué par Friedrich Merz au travers d’un plan de relance massif – près de 1000 milliards d’euros au total – et d’une limitation historique du fameux « frein à l’endettement » qui limitait les ambitions de relance du pays au « Schwarz Null » cher à Angela Merkel. Ce plan s’appuie en outre sur l’articulation entre trois niveaux : le budget fédéral, celui des länder et les fonds spéciaux pour la défense
Il était temps. Plombé par une demande intérieure qui n’a jamais été la priorité des autorités à l’inverse de la compétitivité de leur outil industriel, lesté par le manque d’investissement dans les infrastructures numériques et de transport, et concurrencé par l’élève chinois devenu maitre dans un monde de moins en moins ouvert, le pays stagne depuis cinq ans.
Le « quoiqu’il en coûte » du nouveau chancelier est un pari doublement audacieux. Parce qu’il passe outre la traditionnelle prudence allemande quant aux dépenses publiques. Et parce qu’il suppose que la République fédérale sera capable de briser le carcan de bureaucratie qui enserre toute dépense publique Outre-Rhin.
Lorsque l’on sait qu’il a fallu trois ans de débats parlementaires pour sortir les dépenses militaires inférieures à 3000 euros du très lourd processus d’appel d’offres publiques, le plan de réinvestissement du pays suppose un optimisme chevillé au corps, pro l’acte de foi. Mais il était nécessaire pour permettre à l’Allemagne sortir de cette atonie et redonner de la vigueur à l’activité économique.
Au-delà de l’Allemagne, c’est toute l’Europe qui va bénéficier de cet effort budgétaire Outre-Rhin, avec un surplus de croissance probable entre 0,2% et 0,4% en 2026 si les fonds de l’Union soutiennent le mouvement. Ce serait d’autant plus bienvenu que la tempête commerciale voulue par Donald Trump menace de plonger l’Union Européenne, cette construction organisée bâti autour du libre-échange, dans un climat économique morose.
Le parallèle entre le duo Allemagne – Union Européenne, et celui de la Chine et de l’Asie est frappant.
La Chine, d’atelier du monde, est devenue à force d’investissements la puissance industrielle, et de plus en plus technologique, dominante de la planète. Sa production manufacturière est supérieure à celle de l’Allemagne, du Japon, de la Corée du Sud et des Etats-Unis réunis.
Mais à force de se concentrer sur son outil de production et ses capacités d’exportations, l’Empire du Milieu a négligé sa demande intérieure, brutalement sapée par la mise à l’arrêt du puissant secteur immobilier. Et les surproductions se sont accumulées, au point que le pays fabrique annuellement plus de batteries de véhicules électriques ou de climatiseurs que le monde ne peut en consommer.
Pour atteindre les 5% de croissance, surmonter les taxes douanières en rafale – plus de 100% annoncés au dernier comptage ! – et éviter une dangereuse agitation sociale, la relance de la demande intérieure s’impose depuis plusieurs années désormais.
Comme l’Allemagne, la Chine a longtemps hésité et, à la différence du géant européen, elle n’est pas encore décidée à utiliser pleinement ses marges de manœuvre. Il faut dire qu’en dix ans, le taux d’endettement de l’Etat central chinois est passé de 60% à plus de 90% du PIB, de quoi inciter à la retenue.
Devant l’urgence de la situation et l’atonie persistante de la demande intérieure, elle a cependant significativement avancé ces derniers mois. A l’image de l’Allemagne, trois niveaux de décisions seront sollicités : l’état central, les collectivités locales et les fonds spéciaux.
La cible de déficit budgétaire pour l’Etat central, longtemps limité par la barrière des 3% du PIB a ainsi été montée d’un tiers, pour atteindre 4%. A ceci s’ajouteront les capacités d’endettement des collectivités locales, portées à minium 2%, ainsi que celles des fonds spéciaux, également au minium à 2% du PIB.
Même si la banque centrale chinoise hésite à aller au-delà d’une dévaluation progressive du Yuan, l’ensemble des mesures de relance devrait néanmoins aider à soutenir la croissance du pays pour limiter autant que possible les effets délétères des perturbations des chaines de valeurs suscitées par l’avalanche d’annonces de l’administration Trump ces dernières semaines.
La Chine pourrait également, sur le même modèle que l’effet d’entrainement allemand sur les autres pays d’Europe, aider l’Asie dans son ensemble à résister à la montée brutale des barrières d’accès au marché américain. Le commerce avec les pays de l’Asie émergente représente en effet, pour Pékin, presque deux fois les échanges avec les Etats-Unis.
L’Allemagne, pour l’Europe, et la Chine, pour l’Asie, portent donc chacune et de façon très similaire, les espoirs de leur zone géographique respective pour conserver une dynamique économique positive.
Reste deux espoirs pour les investisseurs du monde entier :
– que l’Europe et l’Asie puissent se coordonner pour profiter de leurs atouts respectifs en respectant leurs intérêts essentiels…
– et que l’Amérique de Trump ne poursuive pas l’escalade de la guerre économique et financière.