Traçabilité : garantir l’authenticité du luxe et du textile
La traçabilité des produits est l’un des premiers terrains conquis par la blockchain. En associant à chaque objet un identifiant unique inscrit sur un registre infalsifiable (souvent sous forme de NFT ou de passeport digital), les marques peuvent suivre le cycle de vie d’un produit de sa fabrication jusqu’au client final. Cela répond à un double enjeu : lutter contre la contrefaçon et informer le consommateur sur l’origine et le parcours du produit.
Dans l’industrie du luxe, cette approche est désormais une réalité à grande échelle. Le consortium Aura – financé par LVMH et Richemond notamment – a déployé sa propre blockchain privée pour certifier l’authenticité et la provenance des articles de luxe. Aura a permis d’enregistrer plus de 50 millions de produits de luxe tracés en 2024. Concrètement, des maisons comme Loro Piana, Tod’s ou Prada fournissent pour chaque pièce (une chemise, un sac, un bijou) un NFT ou QR code associé, contenant les informations sur les matières premières, les étapes de production, et même l’empreinte carbone du produit. Ce jumeau numérique inviolable sert également de certificat de propriété lors de la revente, offrant une preuve d’authenticité sur le marché de la seconde main.
Le secteur du textile embrasse aussi cette innovation, souhaitant mieux tracer les fibres et s’engager dans une mode plus responsable. Au-delà du groupe Chargeurs, qui utilise la blockchain pour son programme de laine mérinos, Lectra, propriétaire de TextileGenesis, déploie une plateforme de traçabilité complète. TextileGenesis revendique tracer plus de 300 millions de produits textiles distincts par an, en collaboration avec plus de 100 marques internationales. Dans un secteur où la contrefaçon et le « greenwashing » restent fréquents, cette traçabilité blockchain rassure les investisseurs et soutient la croissance du marché de la revente (qui pourrait représenter 20 % du chiffre d’affaires du luxe d’ici 2030).
Paiements : la montée en puissance des stablecoins face aux réseaux traditionnels
Le domaine des paiements est bouleversé par l’essor des stablecoins – ces jetons numériques adossés à une monnaie fiat (monnaie fiducière) – qui offrent la rapidité de la blockchain sans la volatilité des cryptos classiques.
La valeur totale des transactions effectuées via des stablecoins a atteint des niveaux record : on estime qu’en 2024, ces jetons ont traité plus de 15 000 milliards de dollars de transactions soit davantage que le volume annuel de Visa, (un exploit rendu possible en partie par l’automatisation (tradings algorithmiques, et arbitrages essentiellement), mais aussi par l’adoption croissante des utilisateurs finaux.
Parallèlement, l’encours en circulation de ces monnaies stables a explosé. Début 2025, on dénombre près de 239 milliards de dollars de stablecoins en circulation toutes devises confondues. Le leader du secteur, Tether (USDT), représente à lui seul une capitalisation dépassant 80 milliards $, suivi par USD Coin (USDC) émis par Circle et Coinbase, qui avoisine les 30 milliards $.
Les grandes institutions financières lancent désormais leurs propres stablecoins. PayPal, géant du paiement en ligne, a introduit en 2023 le PYUSD adossé au dollar. En Europe, Société Générale a émis via sa filiale SG-Forge un stablecoin euro (EUR CoinVertible ou EURCV) dès 2023, avec une garantie 100% en euros déposés en banque. L’EURCV préfigure les stablecoins bancaires conformes aux régulations (MiCA).
Cette montée en puissance s’explique par les atouts spécifiques des stablecoins dans les paiements B2B et internationaux :
- Disponibilité 24/7 et rapidité: les transactions stablecoin se règlent en quelques secondes ou minutes, week-ends compris, là où un virement bancaire classique peut prendre 1 à 3 jours.
- Coûts de transaction réduits: envoyer l’équivalent d’un dollar via un stablecoin ne coûte qu’une fraction de centime sur certains réseaux blockchain (par ex. Solana, Polygon), très en-deçà des frais SWIFT ou des commissions de cartes.
- Programmabilité: via des smart contracts, les paiements peuvent être automatisés (ex: versement libéré automatiquement à livraison, escrow intelligent, etc.), réduisant les intermédiaires.
Échange et tokenisation d’actifs : vers un marché financier 3.0
La tokenisation est la troisième killer app. Il s’agit d’utiliser la blockchain pour représenter numériquement des actifs réels (actions, obligations, immobilier, parts de fonds, etc.) sous forme de jetons (token en anglais) échangeables 24h/24. Cette évolution pourrait fluidifier des pans entiers du marché aujourd’hui peu liquides, en permettant la fractionnalisation (achat de fractions d’actifs coûteux), une règlement/livraison quasi-instantanée, et une réduction des intermédiaires.
Au cours des deux dernières années, plusieurs projets pilotes sont devenus des produits d’investissement concrets :
- Franklin Templeton : Le gestionnaire Franklin Templeton a lancé un fonds de marché monétaire gouvernemental américain dont les parts sont enregistrées sur la blockchain (Franklin OnChain U.S. Government Money Fund).
- BlackRock : Le plus grand gestionnaire d’actifs mondial, BlackRock, a embrassé à son tour la tokenisation. Il a lancé fin mars 2024 un fonds de liquidité tokenisé (USD Institutional Digital Liquidity Fund, surnommé BUIDL). Les parts de BUIDL sont émises sur Ethereum et peuvent être souscrites/vendues via la plateforme digitale de BlackRock, (souscriptions instantanées, réduction des coûts administratifs) sans changer la nature sous-jacente du fonds.
- UBS: La banque suisse UBS a développé UBS Tokenize, son service interne de tokenisation, et a lancé fin 2024 son premier fonds d’investissement tokenisé – uMINT – un fonds monétaire en dollars tokenisé sur la blockchain Ethereum.
Les études de marché projettent une croissance exponentielle : selon Boston Consulting Group, la valeur des actifs illiquides tokenisés pourrait atteindre 16 000 milliards $ d’ici 2030, soit 10% du PIB mondial. Même en considérant des estimations plus prudentes (autour de 2 000 milliards $ d’après McKinsey), le potentiel de disruption est immense.