Jusqu’ici tout va bien. La croissance mondiale résiste en dépit de poches de faiblesses locales comme le montre notre indicateur MMS Montpensier Arbevel de Momentum économique mondial, à 57.
Mais quelques clignotants doivent être surveillés et, depuis quelques semaines, ce sont les marchés obligataires, ces baromètres du financement de l’activité, qui se rappellent au souvenir des investisseurs.
Source : Bloomberg / Montpensier Arbevel au 2 juin 2025
1- En Amérique, d’abord via la montée des taux déclenché par le « Liberation day » du 2 avril dernier, lorsque l’annonce tonitruante des droits de douane réciproques par Donald Trump a jeté un froid sur les milieux économiques et financiers. Depuis ce jour, le rendement des bons du Trésor américain à 10 ans ont grimpé de 4% à plus de 4,5%, entrainant les taux européens dans leur sillage.
Ensuite par plusieurs adjudications décevantes pour les émissions américaines et japonaises fin mai, trahissant l’hésitation des grands institutionnels devant les besoins grandissants de financement des Etats. Avec une demande couvrant à chaque fois plus de deux fois l’offre sur le marché pour des échéances à plus de 20 ans, nous sommes certes loin des niveaux d’alerte des grandes crises financières mais ces grincements traduisent l’inconfort des acteurs financiers.
Enfin par l’intermédiaire des agences de notation qui n’ont pas hésité à sanctionner le manque de perspectives attrayantes sur la dette américaine, dégradée de Aaa à Aa1 par Moody’s le 16 mai dernier – ou à mettre régulièrement la France sous pression.
Ces tensions obligataires tiennent bien sûr d’abord à la « nouvelle Amérique » de Donald Trump. Premier débiteur mondial avec 36000 milliards de dollars de dette à fin décembre 2024, le pays profitait jusqu’ici des besoins mondiaux en dollars pour se financer avec aisance.
Quoi de mieux en effet pour recycler l’excès d’épargne mondial et les excédents commerciaux dégagés sur la planète grâce à l’insatiable consommateur américain, que de promettre croissance économique et domination technologique dans un environnement de stabilité financière et juridique ?
Les premiers mois tonitruants du mandat du quarante-septième président ont bouleversé la donne. L’incertitude financière et juridique est de retour tandis que les frictions commerciales et les questions de Trump sur le rôle du dollar, laissent planer le doute quant à la pérennité des Etats-Unis comme « hub » économique de la planète.
En outre, les tensions avec les instituts de recherche et les grandes universités, pourraient mettre en cause leur capacité d’attraction des cerveaux les plus brillants de la planète, ceux qui, entre autres, alimentent l’écosystème technologique du pays et lui permettent de faire progresser sa productivité.
2- L’agitation des marchés obligataires vient également d’Asie et plus spécifiquement du Japon.
Longtemps, la dette publique japonaise a été considérée comme un non-sujet en dépit de son envolée qui la porte aujourd’hui à plus de 250% du PIB du pays : largement détenue localement, d’un taux de rendement très faible et même longtemps négatif en raison de pressions déflationnistes persistantes, elle autorisait toutes les flexibilités financières.
La normalisation rapide de l’inflation et, plus généralement, des dynamiques économiques de l’Archipel, ont conduit les investisseurs à réévaluer progressivement la situation. A mesure des hésitations de la banque centrale japonaise, les taux à long terme se sont tendus, lentement d’abord, puis de plus en plus rapidement. A 1,5% pour l’échéance 10 ans et 3,1% pour le 30 ans, ils restent mesurés mais le changement de régime est manifeste.
Les conséquences sont doubles. Pour le Japon, le financement de l’énorme masse de dette redevient un sujet et nécessitera sans doute d’en appeler à la réglementation afin d’inciter les banques et assureurs japonais à souscrire massivement chaque émission, moyennant le renforcement parallèle des principes leur évitant de comptabiliser directement les pertes liées à la baisse de la valeur de marché des obligations souscrites.
Pour le reste du monde c’est le « robinet » de l’épargne financière nippone qui risque de se refermer doucement. Grands amateurs de dette française, toujours très présents sur le marché des T-Bonds – les japonais en sont les premiers porteurs en 2024 – les investisseurs du soleil levant, en se recentrant encore davantage sur leur marché domestique, vont accentuer la pression à l’international.
En outre, le renchérissement, pour les investisseurs du monde entier, de l’utilisation de mécanismes dits de « carry-trade », jusqu’alors très rémunérateurs, à savoir l’emprunt en Yens pour acheter des titres mieux rémunérés en dollars ou en euros, ne ferait qu’accélérer le mouvement.
3- Reste l’Europe et là aussi, le climat obligataire se tend. Le retour potentiel de fortes émissions de dettes allemandes, en cas de concrétisation du plan de relance Merz à 900 milliards, va bouleverser le paysage des investisseurs en renforçant la compétition pour attirer les capitaux mondiaux. Et d’abord à l’intérieur du Vieux Continent.
Jusqu’ici, la France jouait sur du velours. Lors de chaque adjudication, les spécialistes réputés de l’Agence France Trésor avaient beau jeu de mettre en avant la liquidité et la grande diversité de la dette du pays en termes de maturité ou de caractéristique – indexée ou non sur l’inflation – sans compter un rapport rendement-qualité de bonne facture.
La mise sous pression croissante par les agences de notations et la possible arrivée prochaine de grande quantité de dette allemande, changent la donne. La concurrence européenne s’annonce féroce, d’autant que le rendement du Bund n’est pas si éloigné de son homologue de ce côté-ci du Rhin.
L’impact est aussi à prévoir pour les marchés mondiaux. Le fort excédent d’épargne européen est en effet très friand de bons du Trésor et de dollars. La conjonction de l’incertitude nouvelle sur la dette américaine et le billet vert, avec de nouvelles opportunités de grande qualité – la dette allemande reste une des seules notées AAA – en Europe, pourrait bien gripper cette pompe à financement du déficit extérieur des Etats-Unis.
Ce changement profond des circuits de financement de l’économie mondiale survient dans un contexte d’endettement massif.
A plus de cent quarante mille milliards de dollars, le stock mondial de dettes a en effet doublé depuis 2009. Les émissions pour les entreprises, à elles seules, ont été de huit mille milliards de dollars en 2024.
Trump, est donc loin d’être le seul à blâmer. Notre insouciance collective est la première responsable. Le pacte faustien d’une croissance et d’investissements financés sans limite grâce à un crédit surabondant touche à sa fin. Le temps et le risque ont un coût. Le métier des gérants et des investisseurs est de le quantifier !