Le 5 novembre 2024, 135 ans après Grover Cleveland, Donald Trump devenait le deuxième président des Etats-Unis à entamer un second mandat, non consécutif avec son premier.
Avant même son entrée en fonction, la machine s’est mise en route avec la constitution très rapide d’une équipe de fidèles capables de mettre en musique dès le premier jour le tempo du fantasque milliardaire. Commerce, immigration, diplomatie, en un an, que de chantiers ouverts !
Reste un invariant dans cette frénésie d’activité : la volonté d’imposer sa marque sur le pays et de changer les équilibres de l’économie américaine. Jusqu’ici, l’activité n’a pas souffert de cet activisme à marche forcée. La croissance est toujours là et notre indicateur MMS Montpensier-Arbevel de Momentum économique, à 49, bien que sur le fil, ne montre pas de détérioration marquée en dépit de profonds et incontestables changements.

Source : Bloomberg / Montpensier Arbevel au 3 novembre 2025
1-Le premier axe de la politique de Trump, le plus visible sans doute, est celui de l’utilisation des droits de douane comme levier à la fois de politique économique et de relations internationales.
A partir du 1er avril, les annonces se sont multipliées. Alors que les premières semaines du 2nd mandat avaient d’abord été l’occasion de pressions envers les voisins canadiens et mexicains, tous les pays ou presque ont été concernés. Au total, la hausse anticipée des droits de douane pourrait les placer au plus haut depuis plus d’un siècle.
Le conditionnel est toutefois de rigueur. D’une part en raison des discussions avec les pays concernés, qui aboutissent à abaisser la barre, et, d’autre part, suite à des effets différés et à l’adaptation des différentes chaines de valeur mondiales via des efforts de stockage et de substitution.
Ainsi, selon les calculs de l’Université de Yale au 30 octobre 2025 – soit avant la finalisation de la dernière phase de discussions avec la Chine, conclue le 2 novembre – le taux théorique de droits de douane sur les biens importés par les Etats-Unis était de 17,4%, tandis que le taux effectivement perçu par les douanes se situait encore sous les 5%.
Ceci explique largement la progression encore très contenue de l’inflation. Même si les données sont parcellaires et retardées en raison de la fermeture de nombreux services fédéraux faute d’accord budgétaire au Sénat et à la Chambre, les derniers chiffres montrent toujours une progression des prix inférieure à 3% en rythme annualisé, ce qui est au-delà de la cible officielle de la Fed, toujours fixée à 2%, mais reste acceptable si l’on considère que les droits de douane auront, au pire, un effet très ponctuel et ne devraient pas déclencher de mouvement auto-entretenu de hausse des prix et des salaires.
L’économie s’ajuste donc progressivement et les recettes collectées par l’administration des douanes – autour de 8 milliards de dollars sur un an glissant – montent. Mais tel n’est pas la priorité du Président. En réalité, l’objectif pour Trump est triple : obtenir de meilleures conditions d’accès à l’exportation pour les produits américains, inciter les entreprises concernées à investir plus fortement aux Etats-Unis, et monnayer le soutien militaire du pays dans des zones stratégiques.
Si les engagements pris par les pays et les entreprises concernés ne pourront se vérifier que dans de nombreux mois, les annonces de nouvelles unités de production aux Etats-Unis se sont multipliées depuis janvier dernier. Pharmacie, automobile, biens de consommation, énergie et bien sûr technologie, quasiment tous les secteurs sont concernés.
Reste désormais à concrétiser les plans alors que les limitations opérationnelles commencent à retarder leur mise en œuvre. C’est le cas par exemple des usines de semi-conducteurs promises par le taiwanais TSMC, retardées d’au moins un an et qui souffrent du manque de main d’œuvre non seulement pour les faire tourner, mais déjà pour les construire.
2-C’est là qu’entre en jeu le deuxième axe de la politique de Donald Trump, le tournant radical de politique migratoire.
Les consignes très strictes données aux services de l’immigration, ont conduit à une chute brutale des flux d’arrivée. Entre 2020 et 2023, plus de 200 000 personnes étaient appréhendées mensuellement par la police des frontières et encore plus de cent mille en 2024. Depuis l’arrivée au pouvoir de Donal Trump, le changement est spectaculaire avec moins de 20 000 appréhensions mensuelles.
Ceci, ajouté à une politique d’expulsions massives et controversées, ainsi qu’à la forte pression financière sur les visas accordés aux travailleurs très qualifiés, change profondément le marché du travail aux Etats-Unis.
D’une part, le secteur technologique, qui a contribué cette année à plus de 80% de la croissance du pays – si l’on inclut la construction des infrastructures immobilières et techniques – devra trouver des solutions pour gérer la contrainte d’une attractivité moins forte vis-à-vis du monde entier. La solution pourra se trouver partiellement dans une hausse de la productivité – grâce à l’IA ! – mais certains cerveaux ne pourront pas se remplacer facilement. Les prochaines années donneront le ton.
D’autre part, les industries de main d’œuvre comme le bâtiment, l’agriculture, les services à la personne, sont privées d’un apport régulier qui permettait de répondre aux besoins sans entrer dans une course salariale. Les dégâts paraissent aujourd’hui limités, sans doute en raison de la baisse de la demande dans un contexte de ralentissement de l’emploi.
Reste que jusqu’ici, le marché du travail semble avoir trouvé un nouvel équilibre, sur la base d’un faible taux d’embauche, compensé par un faible taux de départ. En dépit du brouillard statistique actuel, il est probable qu’un volume mensuel de 50 000 créations nettes d’emploi soit désormais suffisant pour stabiliser le taux de chômage. C’est du moins le pari actuel de la Fed, qui explique sa prudence et sa réticence à s’engager franchement sur un chemin volontariste de baisse de taux, alors que les taux réels sont encore proches de 1%.
3-Le troisième axe, géostratégique, est lui aussi essentiel même s’il est aujourd’hui plus difficile à lire. Donald Trump, même s’il s’en défend, s’inscrit clairement dans la lignée de ses prédécesseurs depuis Obama, qui ont renversé le « wilsonnisme botté » de Georges W. Bush.
La priorité aujourd’hui est plus que jamais la concentration des atouts et des forces de l’Amérique là où cela compte pour elle : l’Amérique du Sud, dans une approche digne de la « doctrine Monroe » du début du XIXème siècle ; La rivalité avec la Chine, seul rival à pouvoir jouer sur la même gamme que l’Amérique ; La sécurisation des matières premières essentielles au maintien du leadership des Etats-Unis.
Les marchés, pour l’instant, restent positifs et applaudissent la capacité d’adaptation et d’innovation du tissu économique américain. Un coup de pouce de Powell avant son départ risque néanmoins d’être nécessaire pour Trump comme pour les investisseurs !