Sur le fil. Depuis le 25 août dernier, la politique française semble en permanence au bord de l’abime. Lorsque le premier ministre de l’époque, François Bayrou, annonce vouloir se soumettre à un vote de confiance de l’Assemblée Nationale le 8 septembre sur la thématique de la dette, les dés sont jetés et les jours de son gouvernement, comptés.
Sans surprise, le vote du 8 septembre est négatif. S’ensuit plus d’un mois de tractations et de retournements rocambolesques tels que la politique du pays n’en n’avait plus connu depuis la IVème République.
Le 14 octobre, le nouveau premier ministre, Sébastien Lecornu, prononce son discours de politique générale devant les députés. La dangerosité de la dette s’y fait discrète. A la place, pour éviter une nouvelle crise politique et un vote de défiance du Parlement, l’ex-ministre des armées propose de « suspendre » la réforme des retraites, d’accroître la pression fiscale et de gager le tout par quelques économies sur les dépenses sociales et l’organisation de l’Etat.
La réaction des marchés durant toute cette séquence a été globalement très mesurée. Certes, l’écart de taux entre la dette française à 10 ans et son équivalent allemand a légèrement progressé, mais, à 85 bps au cœur des turbulences, pas de quoi sonner le tocsin à Bercy, même si, depuis un an et la dissolution de 2024, l’écart se creuse mois après mois.
Pour les grands timoniers de l’Agence France Trésor, le juge de paix se présentera en deux temps. Le premier coïncidera avec les débats budgétaires qui pourraient être l’occasion de la créativité fiscale chère à la classe politique : après la dégradation de S&P le 17 octobre le verdict de Moody’s le 24 octobre sera très attendu.
Le deuxième temps sera celui de la concurrence avec les nouvelles émissions de dette allemandes. Pour financer son méga plan de relance de 500 milliards d’euros, Berlin va en effet revenir massivement sur le marché des émissions primaires de dette dès le premier trimestre. C’est à ce moment-là que la trajectoire budgétaire française sera réellement évaluée par les investisseurs.
Et cela pourrait avoir des répercussions en Europe, au-delà des seuls paramètres de dette française. Au cœur de la tempête politique, c’est en effet toutes les signatures de la zone euro qui ont souffert des incertitudes françaises. L’Italie, le Portugal ou l’Espagne, en dépit des trajectoires rassurantes de leurs comptes publics, ont vu leurs taux souverains monter dans le sillage de l’OAT.
L’euro lui-même a été affecté. Bien sûr, les développements erratiques de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, ainsi que les différences de dynamique économique de part et d’autre de l’Atlantique expliquent aussi l’arrêt de l’appréciation de la monnaie unique. Mais l’effritement depuis un mois est également à mettre au bilan des craintes sur la stabilité politique et fiscale de l’Hexagone.
A ce titre, les différentes déclarations des membres du comité de politique monétaire de la BCE sont éclairantes. Après une période de silence, tous ont souligné la nécessité de surveiller étroitement la situation. Sans aller jusqu’à évoquer les outils de stabilisation à la disposition de la banque centrale, la pression monte à Francfort pour desserrer graduellement une politique monétaire qui reste restrictive, en particulier via la diminution très agressive du bilan de l’institution de Francfort, qui maintient les taux longs à un niveau inutilement élevé.
Les institutions européennes sont également en alerte. Vladis Dombrovskis, le commissaire au budget, a ainsi déclaré le 14 octobre que la crédibilité des finances publiques françaises ne devait pas être la victime collatérale des incertitudes actuelles et que les engagements précédents devaient être respectés.
Au-delà des purs aspects monétaires et budgétaires, le flou du paysage politique français n’est pas sans effet sur la croissance dans le Vieux Continent.
A court terme, disons dans les douze à dix-huit mois, la France ne risque pas de faire dérailler les projections d’activité. Les scénarios sont clairs : la dynamique des pays du Sud demeure très positive, en particulier en Espagne qui profite des belles perspectives du secteur immobilier et d’une immigration qui fait plus que compenser alors que l’Allemagne s’apprête à relancer fortement grâce au plan d’investissement massif de Friedrich Merz.
Mais l’avenir pourrait être plus sombre. Car le refus français d’aborder franchement les facteurs limitants de la croissance potentielle du pays voire de les contraindre encore plus, à l’image du capital nécessaire aux investissements ou de la quantité de travail effective, risque de peser sur les perspectives européennes à proportion du poids économique du pays dans l’Union.
La suspension de la réforme des retraites, les tours de vis programmés sur l’apprentissage, la taxation des patrimoines et le renforcement de la progressivité de l’impôt dans un pays déjà parmi les plus égalitaires du monde occidental, ne sont pas de bons signaux en ce début de discussions budgétaires. Et ils sont regardés comme tels par nos partenaires européens.
Le positionnement géostratégique est le troisième volet des impacts potentiels de la situation française en Europe. Très actif sur la scène internationale depuis le début de son deuxième mandat, le président français se place en leader de l’Union en raison à la fois de son ancienneté dans la fonction et des capacités militaires et diplomatiques du pays.
Si ces deux socles de la légitimité française à l’internationale ne sont pas remis en cause, l’affaiblissement économique potentiel d’un des membres fondateurs de l’Union ne peut être considéré comme un événement anodin.
Au cas où la situation budgétaire et la trajectoire fiscale du pays venaient à être profondément remises en cause, suscitant alors de fortes pressions des autorités de Bruxelles, sur le modèle de la crise italienne de 2011, c’est l’ensemble du « bloc de crédibilité » de la France à l’international qui serait atteint. Et, par transitivité, celui de l’Europe à la fois dans les négociations économiques avec la Chine et les Etats-Unis, et dans le positionnement stratégique face aux ambitions russes.
Le débat budgétaire s’engage. Plus que jamais, il faut se rappeler que la France n’est pas une île : elle est profondément insérée dans le tissu monétaire, commercial et économique européen et mondial. Notre pays ne peut pas prendre le risque ni d’un aventurisme ni d’un matraquage fiscal aux risques de perdre encore des places en terme de compétitivité et de richesses créées par habitant.