Les Etats-Unis et les foucades de Trump seront le pivot de l’attention des marchés cet été. Il faudra surveiller le dollar, la Fed, les taux d’intérêt et bien sûr les évènements géopolitiques.

Guillaume Dard & Wilfrid Galand

1- Les Etats-Unis échapperont-ils à la récession ?

Jusqu’ici, et même si l’activité américaine a chuté au premier trimestre, le ralentissement s’opère en bon ordre. Les indicateurs avancés oscillent étroitement entre récession et expansion mais la bonne tenue du marché de l’emploi, avec un taux de chômage juste au-dessus de 4%, soutient la consommation.

Néanmoins, les signaux d’alerte se multiplient. Dans l’enquête de juin de l’institut du Conference Board, l’évaluation, par les ménages, de la facilité à trouver un poste, est au plus bas depuis 2020. Et les intentions d’embauches de la part des petites entreprises, mesurées par l’indice NFIP, sont également les plus faibles depuis avril 2024. Par ailleurs, la politique de restriction de l’immigration commence à peser sur les secteurs les plus exposés comme le tourisme, la santé ou l’agriculture.

Dans l’industrie, outre les enquêtes S&P Markit et ISM sur le moral des directeurs d’achat, qui sont, pour l’une très proche, et pour l’autre nettement en territoire de contraction, les commandes manufacturières marquent le pas en dépit des actions de précaution prises en anticipation des droits de douane.

La bonne nouvelle réside dans la résistance des services, qui continuent à soutenir l’activité. La promulgation de la « grande et belle loi budgétaire » le 4 juillet, qui pérennise les baisses d’impôts de « Trump 1 » et défiscalise notamment les pourboires, pourrait aider à maintenir le rythme de l’économie. Sauf si les droits de douane paralysent les acteurs économiques.

2- Powell survivra-t-il à la pression de Trump ?

Depuis décembre 2024, la Fed s’est mise en pause. L’incertitude créée par les annonces tonitruantes de la nouvelle administration, tant sur les droits de douane que sur l’immigration ou la politique budgétaire, a incité les membres du comité de politique monétaire à une grande circonspection.

Mais en choisissant le statu quo, l’institution de Washington se démarque de ses principales homologues et en particulier de la BCE, qui ont permis
un mouvement quasi généralisé de baisses de taux sur la planète au
premier semestre. Résultat, avec une inflation stabilisée, les taux réels américains sont aujourd’hui supérieurs à 1,5% et ce positionnement restrictif pèse sur les conditions de financement du pays.

Cet attentisme agace prodigieusement Donald Trump qui n’a jamais fait mystère de son appétence pour des taux les plus bas possibles. A l’heure où l’économie américaine ralentit, le quarante-septième président aurait bien besoin d’un soutien monétaire pour conforter son bilan alors que les élections de mi-mandat de 2026 sont déjà dans toutes les têtes.

La pression exercée sur Powell est donc maximale, d’autant plus que le mandat de l’actuel président arrive à son terme en mai prochain. Traditionnellement, afin de préserver la crédibilité du titulaire en poste, la nomination du successeur s’effectue en janvier. Mais Trump a probablement l’intention d’effectuer une nomination très rapidement pour contraindre Jerome Powell à baisser les taux d’intérêt ou à partir.

3- Le dollar va-t-il poursuivre sa glissade ?

Avec une baisse de 15% face à l’euro sur le premier semestre, le billet vert est revenu au-dessous de son niveau moyen depuis 1971 de 1,15 dollars pour 1 euro (si l’on considère le Deutsche Mark comme son prédécesseur entre l’instauration des changes flexibles par Richard Nixon et la création de l’euro en 1999).

A ce stade, rien d’anormal tant que le corridor de 1,10-1,20 entre les monnaies de référence des deux côtés de l’Atlantique est respecté. Mais la pression mise en œuvre sur Jerome Powell pourrait entrainer une glissade jusqu’aux records au-delà de 1,40 voire 1,50 dollar pour 1 euro comme en 2008.

Même si Donald Trump apprécie l’effritement du dollar, perçu comme une aide à la baisse du déficit commercial du pays, l’accélération de la baisse de valeur de la première monnaie mondiale serait une mauvaise nouvelle pour les marchés, surtout si elle devait préfigurer une dangereuse « fuite devant la monnaie » alors qu’il n’existe pas réellement d’alternative au billet vert comme pivot monétaire de la planète.

La confiance dans la solidité de l’économie Outre-Atlantique sera clé pour que la solidité future du dollar ne soit pas remise en cause. La résistance de la productivité et le leadership technologique américains seront donc à suivre de près.

4- Les droits de douane feront-ils repartir l’inflation mondiale ?

 Le « Liberation Day » du 2 avril dernier a marqué les esprits. Ce jour-là, dans la roseraie de la Maison Blanche, Donald Trump annonce les droits de douane les plus élevés depuis la fin du XIXème siècle et la présidence McKinley. Les taxes « Hawley Smoot » de 1930, de sinistre mémoire, sont dépassées, et de loin. Après l’annonce d’une pause de trois mois à partir du 9 avril, l’angoisse a réapparu début juillet.

A ce stade, un seul accord est signé avec le Royaume Uni : tarif 10%. Des niveaux déraisonnables sont à nouveau évoqués ces derniers jours par D.Trump pour la plupart des pays : 50% pour le Brésil, 36% pour la Thaïlande, 32% pour l’Indonésie, 30% pour l’UE et 25% pour le Japon et la Corée du Sud. Quant à l’accord en négociation depuis plusieurs semaines avec la Chine il est impossible de savoir où tombera le couperet : est-ce à 35% ?

En tout état de cause c’est un changement radical par rapport à la situation préexistante où les droits de douane vers les Etats-Unis n’excédaient pas 3% en moyenne.

Jusqu’ici le marché « price » le « TACO » (Trump Always Chickens Out), mais le risque principal réside dans une hausse de l’inflation et un ralentissement de l’économie mondiale. L’application par les partenaires commerciaux des américains de mesures de rétorsion peut générer une escalade incontrôlée.

5- Les marchés obligataires pourront-ils assurer leur rôle de financement de l’économie ?

 Si le mois de juin a globalement été de très bonne facture sur les marchés actions des principaux pays développés, en particulier aux Etats-Unis, les marchés obligataires ont vécu des journées plus agitées.

Au Japon comme aux Etats-Unis, plusieurs adjudications de dettes à long ou très long terme (dix, vingt ou trente ans) ont peiné à trouver preneur, suscitant des poussées temporaires des taux d’intérêt et laissant planer le doute sur la volonté des investisseurs de continuer à financer les besoins colossaux des États, et par voie de conséquence des entreprises.

Car le monde, et tout spécialement les puissances publiques des grands pays développés, est devenu accroc à la dette. Non seulement pour financer les grands projets structurels et indispensables de transitions climatiques, numériques et de souveraineté, mais aussi pour toujours plus de prestations sociales et de subventions à des pans entiers de l’économie.

La bonne nouvelle est jusqu’ici la très bonne tenue des marchés obligataires pour les entreprises, avec, en particulier en Europe, un record d’émission sur les six premiers mois de l’année. Il faut donc espérer que la confiance toujours renouvelée dans la capacité des entreprises à générer de la valeur et à honorer leurs engagements, soit une source d’inspiration pour les Etats, qu’ils bordent les rives du Pacifique ou de l’Atlantique.

6- Le rebond chinois peut-il accélérer ?

 Depuis plusieurs mois, l’économie chinoise se stabilise et le retour à meilleure fortune se dessine. Soutenue par son moteur exportateur, l’industrie devrait voir sa déflation endémique se résorber doucement après les déclarations très claires de Xi Jinping sur la nécessité de mettre un terme à la concurrence effrénée qui tire les prix vers l’abysse.

La vraie bonne nouvelle des dernières semaines vient de la demande intérieure, qui semble se redresser. Les ventes au détail sont de nouveau en progression, l’immobilier repart prudemment et le chômage des jeunes, à 14,5% en juin est de retour au plus bas depuis plus d’un an.

Certes, depuis la crise du CoVid, l’activité de l’Empire du Milieu a connu plusieurs faux départs et l’espoir de retrouver un moteur alternatif au consommateur américain a longtemps été déçu.

Mais les équilibres paraissent désormais plus stables et les droits de douane imposés par Trump n’ont fait que renforcer la détermination des autorités à relancer efficacement la demande intérieure afin de limiter la dépendance aux flux internationaux. Reste à inscrire cette politique dans la durée pour que les acteurs privés, mis à rude épreuve depuis plusieurs années, retrouvent leur optimisme.

7- L’Europe peut-elle monter dans le train allemand ?

L’arrivée au pouvoir de la nouvelle coalition en Allemagne a changé le regard extérieur sur le pays et, par capillarité, sur le continent européen.

Avec l’ambition de débloquer plus de 900 milliards d’euros sur dix ans dans la défense et les infrastructures, en faisant sauter le fameux « frein à l’endettement », et le « Schwarz Null » longtemps totems indépassables des pouvoirs publics allemands, et en décidant dès son arrivée au pouvoir de monter le déficit budgétaire de cette année vers 5% du PIB notamment via des amortissements accélérés pour les investissements, Friedrich Merz a changé la donne.

Ce plan, plus ambitieux que le plan Marshall en devises constantes, pourrait permettre de changer la trajectoire économique du pays. L’institut IFO l’a reconnu au mois de juin en doublant quasiment son estimation pour 2026, passant d’une croissance de 0,8% dans sa précédente estimation à 1,5%.

Au-delà des interrogations propres à ce type de plan – vitesse d’exécution, concentration sur les secteurs les plus générateurs de croissance à long terme, persévérance politique au-delà des alternances prévisibles – l’Europe doit désormais profiter de ce moment pour accélérer et générer un nouveau cycle de prospérité.

Le rapport Draghi l’a spectaculairement montré : le Vieux Continent décroche par rapport aux Etats-Unis avec un écart de PIB par habitant se creusant de 15% en 2002 à 30% désormais. Des investissements et un allègement du carcan réglementaire peuvent nous faire remonter cette pente.

L’Allemagne montre le chemin, au reste de l’Europe de ne pas rester passif dans ce moment historique. L’IA act, contesté par plus de quarante grands acteurs européens qui demandent une revue urgente de ses mécanismes et de son contenu, sera le premier test de cette détermination commune. Le temps presse.

8- La France aura-elle le courage de présenter un budget de redressement ?

La pression se resserre sur la France. Lestée d’une dette de plus de 110% du PIB, bien au-delà des 3000 milliards d’euros, le pays consacre désormais plus de 80 milliards d’euros par an au service de celle-ci. Et l’indulgence des marchés à son égard ne peut être considérée comme éternelle.

Certes, malgré les dégradations des agences de notation, le pays est toujours noté AA- par l’agence de référence, Standard and Poors, mais sa perspective négative depuis déjà deux sessions de notation, indique que ce statut, de très bonne qualité, est menacé. Et toute dégradation supplémentaire ferait passer l’OAT dans la catégorie « qualité moyenne », ce qui changerait probablement l’appréciation des investisseurs.

Déjà le taux à 10 ans français est passé depuis trois mois au-dessus du taux espagnol et se rapproche à moins de 25bps du taux de la dette italienne, pourtant notée deux crans en dessous. Les marchés anticipent toujours…

 Afin d’éviter un lent étranglement, scénario vécu justement par nos voisins transalpins depuis quinze ans, il faut donc rapidement donner des signes de détermination à faire face à nos déséquilibres publics. Et pourquoi pas faire de vraies économies ?

 L’heure de vérité approche : c’est ce qu’a déclaré le 1er ministre le 15 juillet en insistant sur la nécessité de produire davantage et de contrôler les dépenses.  L’instabilité politique à l’assemblée permettra-t-elle ce sursaut ? le feuilleton risque de durer jusqu’à l’automne… et une nouvelle dissolution ?

9- L’Ukraine peut-elle tenir ?

Vladimir Poutine « ne renoncera à aucun de ses objectifs » en Ukraine a-t-il confirmé début juillet au président Trump. La paix ou même un cessez-le feu temporaire, paraissent donc aujourd’hui hors de portée dans un conflit terriblement destructeur tant pour les hommes que pour les infrastructures, et qui dure depuis trois ans et demi.

La pression militaire russe se fait de plus en plus intense sur Kiev à mesure que le soutien américain se fragilise et faute pour l’Europe de pouvoir se substituer totalement et rapidement à Washington, en particulier pour les systèmes de défense anti-aérienne.

La situation pourrait de ce fait évoluer de façon décisive durant l’été, à mesure que la masse russe se déploie et malgré la résistance farouche des ukrainiens.

Pour les marchés, une trêve, même au prix de lourds sacrifices de la part de Zelinsky, signifierait la poursuite voire l’accélération de la détente des prix de l’énergie et le retour graduel des matières premières russes dans les circuits internationaux. Encore faudrait-il ne pas générer rapidement de nouvelles inquiétudes quant à l’appétit renouvelé du Kremlin pour de nouvelles conquêtes…

10- Le pétrole et les matières premières peuvent-ils éviter la surchauffe ?

 Après un bref moment de stress au moment des frappes aériennes d’Israël en Iran, puis de l’implication spectaculaire des bombardiers B2 américains, le pétrole s’est rapidement retourné pour revenir bien en deçà des 70$ le baril, en baisse de plus de 10% sur le premier semestre et de 5% depuis début 2024.

La hausse de la production de l’OPEP et de la Russie, décidés à concurrencer le « schiste américain », ainsi que la faible demande générale, ont permis d’éviter un nouveau cycle de hausse dommageable pour la croissance mondiale.

Attention aux prix de l’électricité : la puissante vague de chaleur en Europe du début de l’été a porté brièvement les prix au-delà de la barre symbolique des 100 euros le Mw/h. L’impact tangible du dérèglement climatique est déjà sensible.

La situation est différente pour les matières premières industrielles et en particulier la première d’entre elles, le cuivre, en hausse de plus de 20% depuis le début de l’année. C’est le signe de la bonne tenue du secteur manufacturier chinois et de l’appétit mondial pour les infrastructures.

Pour les matières premières L’équilibre parait soutenable avec une progression régulière permettant d’absorber la hausse des coûts.

Comme pour tous les intrants majeurs, l’important néanmoins est d’éviter les variations trop rapides, souvent générées par des perturbations majeures de l’offre, en particulier en cas de fortes tensions géopolitiques.

Très bel été à vous !

Guillaume Dard & Wilfrid Galand