Le rebond des marchés n’est-il qu’un feu de paille qui cache une correction encore plus brutale?
Il traduit d’abord la très bonne saison des résultats du Q2 avec de très bonnes publications de poids lourds des indices comme les grandes technologiques US, le luxe en France ou évidemment les valeurs énergétiques. Il se place aussi dans l’espoir d’un « soft landing de l’économie, qui voit à la fois la croissance ralentir mais éviter la récession brutale, et les tensions sur les prix s’apaiser dans le sillage de l’énergie. Il a aussi anticipé, probablement un peu vite, un « tournant » accommodant dans la politique de resserrement annoncée et mise en œuvre par la Fed. Ce dernier aspect est sans doute le plus fragile, mais ne doit pas faire oublier que les résultats ont été de très bonne facture et que les derniers indicateurs avancés, en particulier aux Etats-Unis, sont un peu plus encourageants que prévu.
Le marché est-il plus que jamais entre les mains des banques centrales?
Le contexte monétaire est évidemment très important pour les marchés. Si, comme certains l’envisagent, la Fed remonte ses taux au-delà de 4% rapidement, cela aura évidemment un impact négatif. En cas de mouvement inverse (pause), ce serait salué par une hausse des valorisations. Mais les marchés sont au moins autant à l’écoute du rythme et de la prévisibilité – y compris de la baisse du bilan – des mouvements de la Fed. C’est l’absence de visibilité et de prévisibilité qui est le plus préjudiciable et on a l’impression que les stratégies sont plus claires désormais. Même s’il faut rester prudent
L’acceptation de la récession comme passage obligé par Jérôme Powell vous inquiète-t-elle?
Son discours à Jackson Hole était effectivement très dur mais pouvait-il vraiment faire autrement ? Pour éviter que les anticipations d’inflation dérapent, il faut montrer une totale détermination. Ceci dit, la Fed comme les autres BC ne sont pas aveugles aux conséquences d’un ralentissement prononcé de l’économie et sauront, le moment venu, ajuster leur approche. A ce stade, elles ont clairement décidé de se concentrer sur le volet « cœur » de leur mission, la monnaie et sa valeur, donc la stabilité des prix, et de laisser le reste aux acteurs économiques : Etats, citoyens… et entreprises. C’est un retour aux fondamentaux des rapports entre la monnaie et l’économie et cela me semble sain
Quelles conséquences le recul de l’activité peut-il avoir sur les résultats des entreprises?
Il y a deux sujets distincts : le recul de l’activité, et les entreprises savent faire preuve de flexibilité et d’adaptabilité. On constate déjà un réajustement très net des chaines d’approvisionnement pour les renforcer dans un contexte plus incertain. Cela a un coût, comme renforcer la liquidité des banques a eu un coût après Lehman, mais c’est le prix à payer pour plus de stabilité à l’avenir.
Reste le deuxième sujet, l’envolée des prix de l’énergie. Si elle se confirme dans les prochains mois – on parle de coupure définitive du gaz russe – elle est si rapide et violente que certaines industries comme l’industrie lourde ou l’aéronautique pourraient subir des baisses de résultats. Cependant la situation évolue très vite avec des initiatives européennes en particulier, et la possibilité de retour opérationnel d’une large part du parc nucléaire français, donc il est trop tôt pour se prononcer
Sont-elles armées pour y résister?
Toutes ont une stratégie énergétique : beaucoup ont des contrats de couvertures, ont développé des approvisionnements énergétiques alternatifs, mis en place des plans d’économie à plusieurs niveaux d’urgence et d’impact. Mais évidemment, c’est un choc pour toute l’économie et il est illusoire de vouloir s’en exonérer. Il s’agit de préserver les capacités de rebond pour passer cette période difficile et être efficaces au moment où les opportunités de développement reviendront.
L’atterrissage de l’inflation constaté outre-Atlantique n’augure-t-il pas un revirement de la politique monétaire et un ralentissement des prochaines hausses de taux?
Il est encore trop tôt pour l’anticiper. L’inflation parait effectivement avoir passé son pic mais reste tout de même proche de 9% en rythme annuel, et la Fed a affirmé avec beaucoup de force vouloir aller au bout de sa stratégie de resserrement monétaire, jusqu’à la baisse effective et tangible de l’inflation. Il est possible que ce moment arrive d’ici quelques mois mais le temps de la « pause » ne parait pas encore venu pour la Fed
Dans un tel contexte, contrairement à la situation du premier semestre, les opportunités pour les épargnants en se trouvent-elles pas dans les produits de taux? Et si oui dans lesquels?
A ce jour, le marché obligataire est dans une situation historique de « bear market », inconnu plus de trente ans. Profiter de ces niveaux pour rebâtir progressivement des positions de rendement est pertinent, en particulier sur le marché américain. Mais attention à la poursuite des mouvements haussiers sur les taux qui pourraient surprendre, et, pour les investisseurs en euro, aux mouvements du dollar qui pourraient anéantir rapidement les gains espérés. Donc s’y intéresser progressivement, oui, mais avec prudence à ce stade. Nous apprécions toujours les obligations convertibles qui nous paraissent un outil intéressant pour d’exposer au marché action en bénéficiant d’un plancher obligataire qui est de retour.
Comment dans cet environnement les marchés actions vont-ils évoluer d’ici la fin de l’année?
Plusieurs clés sont à surveiller : les banques centrales, la crise énergétique en Europe, et une possible relance chinoise au moment du « sacre » attendu de Xi au Congrès du 16 octobre. Si les évolutions de ces trois facteurs vont dans le bon sens, et sans cataclysme géopolitique, nous pourrions avoir une fin d’année positive et surtout nous lancer avec plus de conviction vers 2023
Faut il rester à l’écart des marchés?
La nécessaire prudence face à un environnement très incertain ne doit pas faire oublier l’extraordinaire capacité d’adaptation et de création de valeur des entreprises. Rester à l’écart n’est pas une bonne idée car les marchés anticipent toujours et les rebonds sont ensuite très difficiles à capter lorsque les trains sont partis. La baisse depuis le début de l’année offre des points d’entrée sur certaines belles valeurs qui sont toujours considérées comme trop chères. Et surtout n’oublions pas ce vieil adage, sur les marchés et à long terme, les pessimistes font de l’audience, les optimistes font de l’argent.
Sur quels secteurs investir?
sur les actions, il faut s’inscrire sur les thématiques de long terme : la transition énergétique et climatique, la santé et le digital ù le marché offrira de belles opportunités comme après le krach des années 2000.
Qu’est ce qui vous ferez revenir?
Outre une détente sur le front de l’énergie et des banques centrales, un axe important de notre réflexion concerne la Chine. Durant la dernière décennie, le pays a représenté en moyenne 30% de la croissance mondiale. A peine 10% en 2021 et sans doute moins cette année. Cela ne peut durer si Xi veut affirmer son pouvoir et montrer qu’il est digne de ce mandat de « Fils du Ciel » qu’il cherche lors du XXème congrès du PCC qui débute le 16 octobre. Il doit donc être l’occasion d’annonces fortes pour relancer le pays. Ce serait un point d’inflexion important pour la croissance mondiale et donc un signal d’optimisme pour les marchés.